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L’ère des cobayes

Nous sommes tous des cobayes ; ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est un simple constat. Démonstration en quelques points.

Un cobaye est un sujet d’expérience qui subit un protocole, qu’un expérimentateur a mis au point. L’intérêt de l’expérimentateur est de maîtriser au mieux tous les facteurs de ce protocole, afin de mieux cerner dans les réactions du cobaye le paramètre qui l’intéresse. Une fois l’expérience finie, à lui d’en tirer les conclusions, par l’analyse des résultats ; son but est de mettre en évidence des lois générales, dont les applications seront reproductibles dans le cadre du protocole expérimental établi - ou à venir.

A tout moment, nous sommes, en tant que groupe d’humains, sous le regard attentif de patients expérimentateurs, qui dissèquent notre mode de vie, nos réactions, sous l’influence de stimulations diverses. Il n’y a pas de maître-expérimentateur. Il y a une succession de circonstances, d’actes diffus, qui ne semblent pas lié entre eux, mais qui convergent vers cet état de fait : nous sommes des cobayes.

Cobaye de l’industrie de la chimie

Comment être sûr de l’innocuité totale d’un produit avant de le mettre sur le marché ? Cela n’est pas possible. On mesure, lors d’études préliminaires, la toxicité de la substance sur des organismes - des souris par exemple - puis on extrapole pour l’humain avec un facteur de sécurité, de l’ordre de 1000 fois. Si l’on constate une toxicité pour la souris (20 grammes) avec une dose de 1 grammes du produit testé, on considèrera que la dose dangereuse pour l’homme (70 kg) est de (70 000*1)/ (20*1000) soit 3,5 grammes.

Ce facteur de sécurité est arbitraire, et ne permet pas d’affirmer que la dose est inoffensive ; en particulier, on ne connaît pas les effets de petites doses ingérées durant de longues périodes. Ce dernier point est donc étudié par l’approche statistique ; à long terme, on va examiner les cancers, les lésions, les maladies de divers types affectant la population exposée au produit. C’est ce décompte qui donnera, avec un pas de temps plus ou moins long, la réelle toxicité du produit. Ceci est le cas pour les produits de l’industrie chimique, de l’industrie pharmaceutique, qui nous délivrent chaque année des dizaines de nouvelles molécules dont on ne connaît finalement pas grand’chose. Trouver des exemples, études de la CEE pour la toxicité des produits, scandales médicaux-chimiques. Nous sommes les cobayes des industries chimiques et pharmaceutiques.

Cobaye du marketing

Comment mieux vendre un bien ? Il faut en faire la publicité. Mais comment être le plus performant, le plus efficace possible dans cette entreprise de communication ? Il faut que le message ressorte du fond des multiples sollicitations (plusieurs centaines par jour, que ce soit en affichage, spots radio ou télévisuels, les journaux, les prospectus...) pour atteindre la cible, le « consommateur ».

Les agences de communication passent leur temps à envoyer leurs stimulations vers la population, puis ensuite examinent, à coup d’études et de sondages, l’impact de leurs messages. Réduit au rôle de réceptacle, étudié du strict point de vue relation message-impact, le « consommateur » est juste libre de d’acheter, de consommer, de posséder.

Du moins est-ce le but ultime visé par la communication publicitaire ; et à coup d’étude sur des « échantillons représentatifs », les agences de communication préparent des techniques toujours plus efficace de marketing, tirant enseignement des campagnes passées : comment a réagi le consommateur à l’étiquette rouge ? Comment, après notre campagne publicitaire, voit-il la marque ? Quel est le capital sympathie de notre société, a-t-il augmenté avec le nouveau slogan, avec notre nouveau porte drapeau (par exemple, un sportif) ? Quel est l’article qui s’est le mieux vendu dans le magasin, dans notre gamme, chez les concurrents ? Quelles sont ses caractéristiques (couleur, forme, taille, contenu...) ? Et pour répondre à ces questions en optimisant la démarche, on divise la population en catégories, comme on séparerait les souris blanches des souris grises.

C’est là qu’apparaît la fameuse « ménagère de moins de cinquante ans », mais elle n’est pas seule ; on range en fonction du sexe, des revenus, du métier, de l’âge, de la localisation géographique, du niveau social... Les différentes catégories seront examinées en termes différents, et recevront des messages qui se voudront les plus ciblés possibles ; on essaiera de prévoir l’impact de ces campagnes, de deviner les réactions. Bien sûr, on note toutes les informations que l’on est capable d’obtenir, et si le résultat n’est pas celui attendu, on change un ou deux paramètres et on recommence, jusqu’à un résultat optimal. Nous sommes les cobayes des méthodes de marketing.

Cure d’expérimentation pour la démocratie

La démocratie même semble passée dans un phase d’expérimentation accrue ; quand les dirigeants de notre pays avouent leur impuissance face à un fondement de notre société, l’emploi, en déclarant que vouloir empêcher les pertes d’emplois c’est comme vouloir empêcher la maladie, quand ces dirigeants - de toutes tendances - ne maîtrisent plus (ou ne veulent plus maîtriser dans un futur proche) des pans entiers de la société (distribution de l’eau, distribution de l’énergie, téléphone...), ils laissent aller la société entière dans une phase d’expérimentation. Comment le simple citoyen, qui ne possède que le pouvoir de son vote, peut-il encore croire à l’efficacité de la démocratie, quand celle-ci, par la voix de ses dirigeants, avoue son impuissance ? Actuellement, on peut observer l’évolution de nos sociétés sous le protocole expérimental « économie libérale ».

Un protocole expérimental n’est jamais remis en cause par des cobayes, aussi les gouvernements successifs l’ont toujours considéré comme une donnée des problèmes qu’ils avaient à gérer, et pas comme quelque chose qui peut être changé. Hors l’idéologie néolibérale est une idéologie comme une autre, qui a une origine, une expansion, qui n’est pas naturelle, mais voulue ; qui n’est pas le seul choix qui soit donné en terme de type de société, mais un choix particulier. Seulement, ce choix nous met dans une société où les valeurs de l’individu sont glorifiées, où seul compte la satisfaction des désirs individuels (par ailleurs générateurs d’espèces sonnantes et trébuchantes, donc fortement encouragés). Nous sommes les cobayes de l’économie libérale, qui surpasse les valeurs de la démocratie.

La fabrication de l’impuissance

La population se sent impuissante à changer sa vie, que ce soit au niveau individuel ou de la société, et n’est plus maître de son destin. Les décisions sont prises en dehors de son champ d’action, et en résulte la passivité. Si cela était réel, si les facteurs influant l’évolution des sociétés étaient hors contrôle (catastrophes naturelles, épidémies...), alors nous serions dans la situation « normale » de l’animal soumis aux aléas de la nature. Mais ce n’est pas le cas, et les facteurs devant lesquels nous (dirigeant politique comme population) avouons notre impuissance ne sont pas naturels, mais crées et contrôlés par des hommes. Il est d’ailleurs remarquable que la rhétorique de l’économie libérale emprunte une part de son vocabulaire et de ses concepts à l’écologie (notamment le struggle for life de Darwin ; les entreprises non viables disparaîtrons, seules les entreprises adaptées pourront prospérer...), renforçant l’idée qu’il n’existe pas de moyen de lutter contre ce système libéral, qu’il est naturel. Ceci concours à la résignation, qui conduit à la passivité, premier attribut de notre état de cobaye.

Mais l’on est en droit de se demander pourquoi une telle passivité de la population existe, permettant la continuité de cet état de fait ? Chaque expérimentateur sait que pour éviter que le cobaye ne devienne neurasthénique ou refuse de participer aux expériences, il doit récompenser ce dernier. Le même système s’applique aux humains, mais plus perfide, car l’humain croit en la promesse de récompense autant qu’en la récompense elle-même. Ainsi, le système des jeux télévisés, des loteries, des achats à crédit permet de faire croire qu’il est possible à tout un chacun de monter dans l’échelle sociale ; d’atteindre le niveau de vie d’une élite qui s’étale à longueur de pages dans les magazines. Cette élite est donnée en point de mire, en modèle, et représente la liberté après laquelle court la population une bonne partie de sa vie, sans se rendre compte qu’elle n’est qu’une étape vers d’autres envies, d’autres besoins, sans cesse appuyés par de nouvelles dépenses. La course à l’émancipation, dans ce système, est infinie.

Le problème de l’individualisme

Un autre fait est que, dans notre société, l’individualisme est érigé en valeur, en mode de vie. Si l’on vous propose un produit, un service, c’est pour améliorer votre bien-être ; c’est sur vos performance que se construit l’entreprise dans laquelle vous travaillez (et du coup, vous en porterez la responsabilité en cas d’échec, donc licenciement) ; c’est votre consommation qui permet à l’économie de bien se porter... Vous êtes au centre de tout, le sujet de toutes les sollicitation ; mais dans le cadre de la consommation et pas plus. En dehors de ce cadre, l’individu qui souhaite autre chose, qui ne soit pas mercantile, qui ne se monnaye pas, se retrouve seul.

Sans aucune des sollicitation, des invitations dont le matraque en permanence les médias (au sens large). Et là, l’individu qui se trouvait au centre d’un système tourné vers lui, se trouve seul dans un système qui l’ignore totalement. Le choc est brutal, et vite il se rend compte qu’il n’est pas pensable de pouvoir, seul, changer quelque chose. Déjà pointe la résignation. Et puis, pourquoi changer ? Après le changement, quels repères, quelles références remplaceront celles dont il est coutumier ? Même si il a le pouvoir de changer, il n’est pas sûr que l’individu le veule. A l’instar de l’animal, captif trop longtemps, qui voit sa cage s’ouvrir, et qui se terre dans un coin, ne sachant ou aller, cherchant à reproduire les structures dont il a l’habitude, c’est-à-dire les barreaux de sa cage. Que ferions-nous d’une liberté plus grande ?

Les cobayes ne quittent jamais leur cage

Notre société nous fournit la nourriture, les loisirs, les idéaux, les rebellions ; nous sommes souvent incapable de penser en dehors du cadre de ce système, qui fait partie intégrante de notre vie On pourrait objecter que ce système a permit de grands progrès en terme de niveau de vie, de durée de vie. Mais cela n’est valable que pour une minorité des pays riches ; par ailleurs, dans les zoos aussi, les animaux vivent plus longtemps que leurs congénères en liberté. Que ferions-nous d’une liberté plus grande ? Ne serait-elle pas trop grande pour nous ? Enfermés dans nos cages, nous ne saurions plus en sortir, nous ne voudrions plus en sortir. Nous sommes des cobayes.

publié le mardi 8 novembre 2005 à 10h25 par Èffe


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