Gaspard-Odilon de M...
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À propos
Pour aller plus loin dans la compréhension de ce texte, je vous conseille de vous renseigner sur le gisant de Victor Noir, au Père Lachaise, sur lequel court une étrange légende.
Gaspard-Odilon de M...
Gaspard-Odilon de M... était un petit aristocrate, avec des prétentions artistiques. C’était de la sculpture dont il s’était entiché. Dans ces années 1860, à Paris, il avait réussi à se faire un ami du sculpteur Aimé-Jules D..., quoique leurs opinions politiques divergeasse profondément. Mais il avait ainsi accès à l’atelier d’Aimé-Jules, et discourait passionnément sur les formes et les matières avec le sculpteur.
L’obsession de Gaspard-Odilon de M... était les formes géométriques, et plus particulièrement la sphère et le cylindre. « Les deux formes parfaites », aimait-il à répéter. Il en coulait de nombreux exemplaires, en bronze ou en cuivre, de taille diverses. Il se mit un jour à vouloir marier les deux, multipliant les objets étranges munis de cylindres et de sphères, ressemblant parfois vaguement à des systèmes planétaires, d’autres fois à de grotesques altères. Le front soucieux, il marmonnait « deux formes parfaites doivent se combiner en une forme parfaite », et retournait à ses croquis ou à ses moulages.
C’est le 9 janvier 1870 qu’Aimé-Jules le vit débouler chez lui, en grande agitation. « J’ai réussi, s’exclamait-il, la forme parfaite ! La forme parfaite, Aimé ! » Il en avait le visage rouge, était tout essoufflé d’excitation. « Bien », répondit Aimé-Jules, qui ne portait que peu d’intérêt à ces recherches laborieuses. « Je verrai cela demain. »
Mais le lendemain, un certain Yvan Salmon, dit Victor Noir, mourait dans des circonstances tragiques. Une mort qui fut suivi par des troubles divers dans la ville. On grondait contre Napoléon III. Aimé-Jules ne put se rendre à son atelier le 10, ni le 11. Le 12 eurent lieu les funérailles, rassemblant pas moins de 100 000 personnes, auxquelles se rendît le sculpteur. Lorsqu’il finit par revenir à l’atelier, le coin que s’était ménagé Gaspard-Odilon était curieusement vide. Plus personne ne le revit à cette adresse. Apeuré par les rumeurs de soulèvement, il avait sans doute regagné sa province pour s’y terrer en attendant que la révolution se passe.
Ce ne fut que 11 ans plus tard, en rangeant l’atelier, qu’Aimé-Jules trouva une petite forme enveloppée dans du papier. L’emballage, pas même raide, semblait avoir été roulé la veillé ; il était couvert de croquis. « La forme parfaite ! Le nombre d’or ! » y avait-il écrit en lettres rouges, et dessinée à la mine de plomb, une forme oblongue, constituée d’un cylindre aux extrémités duquel se collaient deux demi-sphères de même rayon que le cylindre. Aimé-Jules compris assez rapidement que le rayon du cylindre et des sphères correspondait au nombre d’or, soit 1,618, et que la longueur du cylindre valait 10 fois son rayon.
« Satané numérologiste », maugréa-t-il en prenant la forme en main. C’était là un travail soigné, il devait le reconnaître. L’objet était beau, lisse, pesant, et se calait merveilleusement dans la paume. Chose curieuse pour un bronze, il paraissait chaud. En l’examinant, Aimé-Jules remarqua qu’une des extrémités, au lieu d’arborer le vert sombre de l’oxydation, avait les reflets fauves du métal tout juste coulé. « Tout juste coulé, ou mille fois frotté », pensa-t-il en reposant la forme sur l’établi. « Bon, assez rêvassé, nous avons du travail ! » lança-t-il à son assistante. « Nous devons nous occuper de ce gisant à la mémoire de Victor Noir... »
Le sculpteur ne remarqua pas le pourpre sur les joues de son assistante, pas plus qu’il ne prêta attention à son coup d’œil furtif vers la forme de bronze. Un rayon de soleil fit apparaître, gravée suivant l’axe du cylindre, une inscription usée mais encore lisible : « G. O. de Miché ».
publié le lundi
24 août 2015 à 16h45
par Èffe
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